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La photo ancienne

En 1853, le Japon est encore fermé, à part un comptoir hollandais près de Nagasaki. Cette année là, l’amiral américain Perry se présente avec son escadre devant le Japon dans le but de forcer la main au gouvernement pour qu’il s’ouvre aux merveilles de l’Occident. Comme Bonaparte en Égypte, pour faire passer la pilule, il a embarqué des scientifiques et un photographe au doux prénom d'Eliphalet Brown. Perry pense alors que le Japon ignore la photo qui se répand en Europe depuis 20 ans. Son photographe réalisera des portraits-cadeaux de personnalités japonaises comme on offrait des colifichets aux indigènes.Sauf que le pays connait déjà la photo même si personne ne la pratique. Il est même de bon goût de posséder des chambres noires décorées de laques. L'assimilation technique et l'essor seront rapides d'autant qu'en 1859, le pays ouvrent les ports de Yokohama (près de Edo la future Tokyo), d'Hakodate et de Nagasaki. La curiosité des Japonais face aux étrangers mystérieux est totale. Un nouveau type d'estampes apparaissent, les yokohamae, décrivant les us exotiques des Européens dont la photographie. Des apprentis japonais s’installent à Yokohama devenu port de commerce et militaire. Certains ouvrent des ateliers de photos, d’abord à Yokohama pour apprendre, puis à Edo, encore fermée aux étrangers.

En 1863, à Yokohama, apparait Felice Beato, photographe "international" et travaillant pour l'armée anglaise : le marché se modifie. Car c'est surtout un excellent commercial. Il invente l’album photo souvenir : luxe, monochromie et format carte postale pour les photos. Il évite ainsi les pêlemêles réalisés par ses concurrents. C’est le Steve Jobs du business-plan "fermé"... Les concurrents tirent la langue, le marché s'assèche. Les photographes japonais quittent alors Yokohama pour Tokyo qui est en train de se moderniser en devenant la capitale du pays.

L’usage de portraits coloriés devient une norme (jusqu’en 1905 environ). La technique serait issue des estampes mais, dès 1855, à Istanbul, on coloriait déjà les photos à l’aquarelle. Quid de la réelle influence des estampes ? En tout cas, vers 1865, une épreuve photographique coloriée à la main est beaucoup plus chère et prestigieuse qu’une estampe. Les Japonais assimilent la technique des appareils en les transformant (évidemment !). Leur ambrotype est beau, simple, léger contrairement aux européens, dorés et chargés d’ornements. Il s’inspire des boites conservant la calligraphie qu’il faut protéger de l’humidité et des insectes. Très vite, les boîtiers occidentaux ne sont plus utilisés. En 1863, 10 ans après l’arrivée de Perry, les boîtiers et la photo sont les produits étrangers les plus usités au Japon. Les meilleurs photographes sont au niveau des Occidentaux et les prix aussi élevés !

Les Japonais font plaisir aux étrangers, réalisant des clichés très ethniques, voire exotiques. Des matelots en goguette se font tirer le portrait avec des courtisanes pas assez riches pour se faire photographier seules. Elles restent assises sur des tatamis tandis que les seigneurs et princesses ont droit à la chaise, accessoire si moderne. Dans les années 1870, il devient à la mode et ludique pour les familles nippones de se faire photographier dans un décor européen luxueux. Les ateliers de photos sont les premiers bâtiments de facture occidentale construits au Japon car il est nécessaire de disposer d’une verrière pour la lumière. La photographie devient l’instrument du renouveau du Japon dans sa modernité. Même dans les campagnes, que des photographes ambulants parcourent. Elle irrigue toute la société et pour longtemps.

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